Origine et histoire de la Milice Angélique
La Milice Angélique tire sa naissance d’une circonstance de la vie de saint Thomas d’Aquin. À l’âge de 19 ans, celui-ci décida d’entrer chez les dominicains du couvent de Naples et reçut l’habit des Frères Prêcheurs. Son choix d’appartenir à un ordre mendiant déplut à sa famille qui formait d’autres projets sur lui. Les comtes d’Aquin étaient des puissants seigneurs et ils espéraient que Thomas, qui avait été oblat dès l’âge de 5 ans à l’Abbaye du Mont-Cassin, en devienne un jour le Père Abbé. Pour le dissuader de sa résolution d’être Frère mendiant, sa famille prit de grands moyens. Ses parents demandèrent à leur fils Renaud d’intercepter le jeune Frère Thomas qui se trouvait en voyage sur les routes de l’Italie du Nord. Renaud avait la mission de le ramener de force parmi les siens. Grâce à l’appui de soldats, il enleva son frère qui refusa de quitter l’habit des dominicains. Il le conduisit sous bonne garde au château familial de Roccasecca. Là, Frère Thomas fut retenu prisonnier dans de dures conditions.
Pendant plusieurs mois de détention, les menaces n’ébranlèrent pas sa vocation. Alors ses frères décidèrent d’introduire dans sa chambre une courtisane, après lui avoir exposé ce qu’ils attendaient d’elle. Celle-ci essaya de séduire saint Thomas. Le jeune religieux saisit dans la cheminée un tison enflammé et chassa la prostituée. Il traça une croix sur la muraille au moyen du même tison. Prosterné à terre, il demanda à Dieu de le préserver à jamais de toute faute contre la pureté. Dieu exauça sa prière en envoyant deux anges qui lui ceignirent les reins d’un cordon miraculeux. Ils lui dirent : « Voici que, de la part de Dieu, nous te ceignons de la ceinture de chasteté que tu as demandée : aucun assaut ne pourra la rompre ; ce que la vertu humaine ne peut obtenir par ses propres mérites t’est concédé comme un don de Dieu dans sa largesse ». À partir de ce jour, il ne ressentit plus les effets de la concupiscence, comme il le confia à son secrétaire, le père Raynald (ou Réginald) de Piperno. C’est l’une des raisons qui lui valut son titre de « Docteur angélique ».
Durant toute sa vie, saint Thomas garda autour des reins ce cordon miraculeux. Il lui fut enlevé le jour de sa mort par le Père Raynald qui le remit au Maître Général, Jean de Verceil. Ce dernier offrit la relique au couvent des Dominicains de Verceil (Piémont). Il est actuellement conservé dans l’église des Dominicains de Chieri (près de Turin).
La matière de ce cordon est entièrement de fil blanc (lin tressé) long d’un mètre quarante-six. A l’une des extrémités se trouvent deux boucles dans lesquelles s’introduit l’autre extrémité afin que le cordon entoure les reins. La partie qui ceint le corps est plate et ne dépasse pas la largeur d’une paille aplatie. Le reste est composé de deux cordelettes liées de quinze nœuds qui rappellent sans doute les quinze mystères du Rosaire.
Pour satisfaire la piété des fidèles à l’égard du cordon de saint Thomas conservé au couvent de Verceil, on fit toucher des objets au reliquaire. En 1580, le Père dominicain Cyprien Uberti eut l’idée de faire fabriquer des cordons semblables à celui qui était conservé. Il bénit les cordons faits sur ce modèle et les distribua aux pèlerins. Le saint cordon devint une arme puissante pour demander à saint Thomas la grâce de conserver la pureté ou de la reconquérir après l’avoir perdue. Très vite cette dévotion se répandit dans toute l’Italie. Elle aida puissamment de nombreux fidèles à conserver la pureté. Ainsi le Père Camille, vice-recteur du collège des jésuites de Verceil déclara, dans un acte de 1664, que des grâces singulières avaient été accordées à des catholiques de tout âge en portant le saint cordon. Ils avaient été aidés dans les rudes combats de la chair grâce à cet objet de dévotion. La relique conservée au couvent de Verceil devint si célèbre que le Dominicain Michel Ghislieri, devenu Pape sous le nom de Pie V, souhaitait qu’elle fût transférée à Rome.
Les exemples suivants montrent les fruits liés à la dévotion au saint cordon. Saint Louis de Gonzague († 1591), qui avait dans sa cellule l’image du Docteur angélique, portait cette ceinture de pureté et la recommandait à ses compagnons. Elle contribua certainement à lui faire conserver son innocence. La Bienheureuse Stéphanie Quinzani (1457-1530), tertiaire dominicaine, reçut miraculeusement le cordon de saint Thomas. Aux alentours de sa fête, elle eut à subir de fortes tentations contre la pureté. Elle se souvint des assauts dont saint Thomas avait souffert et dont il avait triomphé. Elle supplia Dieu de la ceindre, comme lui, du cordon de la chasteté. À l’instant même, elle éprouva un coup terrible aux reins et ne put retenir un grand cri. Elle fut par la suite délivrée des attaques venant de la concupiscence de la chair.
Très vite des élèves des autres facultés et beaucoup d’habitants de Louvain s’enrôlèrent dans la Milice Angélique. En peu de temps, elle compta 4000 membres. La confrérie s’implanta dans d’autres villes de Belgique (Maastricht, Ypres, Gand) et dans d’autres royaumes : Italie (Venise), Espagne (Saragosse, Majorque), France (Toulouse, Avignon) et même en Amérique latine (Mexique, Equateur et Chili). La Milice Angélique regroupait dans ses rangs des hommes et des femmes de tout âge et de tout milieu : des rois et des reines, des évêques, des prêtres, des religieux, des fidèles laïcs. L’usage de porter le cordon fut surtout répandu parmi les étudiants. Les Clercs Réguliers et les Pères de la Compagnie de Jésus le propagèrent auprès des élèves de leurs collèges. De nombreux papes approuvèrent et encouragèrent la confrérie, le premier à en donner l’exemple fut le pape Innocent X, qui approuva la Milice Angélique par un Bref adressé aux docteurs de Louvain et daté du 21 mars 1654. Ses successeurs l’enrichirent de nombreuses indulgences : Alexandre VII, Innocent XI, Innocent XII, Pie VII, Pie IX.
Dans le Bref du 4 août 1880, Léon XIII mentionne le miracle du cordon et la faveur qui s’ensuit comme l’un des motifs qui le déterminèrent à déclarer saint Thomas Patron des étudiants catholiques : « Comme saint Thomas d’Aquin était sorti victorieux d’une très forte tentation de volupté, le très chaste adolescent obtint de Dieu, comme récompense de son courage, de porter autour de ses reins une ceinture mystérieuse et de sentir en même temps complètement éteint le feu de la concupiscence. Dès lors, il vécut comme s’il eût été exempt de toute contagion de corps, pouvant être comparé aux esprits angéliques, non moins pour l’innocence que pour le génie ».
Au XXe siècle, le pape Pie XI vit dans la Milice Angélique un remède pour aider la jeunesse à lutter contre les tentations de la chair. Dans son encyclique, Studiorum ducem, du 29 juin 1923, il encouragea les évêques à soutenir la confrérie : « Aussi voyant la plus grande partie de la jeunesse, séduite par les attraits des passions, perdre si prématurément la sainte pureté et devenir esclave des plaisirs, Nous vous demandons instamment, Vénérables Frères, de propager partout, principalement parmi les étudiants ecclésiastiques, l’association de la Milice Angélique, qui a pour but la sauvegarde de la chasteté sous la protection de saint Thomas ».Malgré cet appel, les confréries du saint cordon tomberont en désuétude dans la seconde moitié du XXe siècle. On signalera enfin l’exemple du bienheureux Pier Giorgio Frassati (1901-1925) qui aimait à se rendre au couvent Saint-Dominique de Chieri pour prier devant la relique du cordon de saint Thomas. Il portait probablement lui aussi une réplique du cordon. Il puisa dans sa dévotion au Docteur angélique la force de triompher des assauts de la concupiscence. Tous ceux qui le côtoyèrent ont témoigné que le jeune homme, tertiaire dominicain, rayonnait de l’éclat de ceux qui ont le cœur pur.